Utilisation des tubes électroniques avec une faible haute-tension :

Justification théorique

Sommaire

Olivier Ernst

F5LVG


La justification de l'emploi de lampes choisies avec des faibles haute-tension repose sur 3 étapes :

- Variation de l'intensité anodique en fonction de la tension plaque.

- Variation de la résistance interne en fonction de la tension plaque.

- Variation de la pente en fonction de la tension plaque.


I - Variation de l'intensité anodique en fonction de la tension plaque.


1) Cas des diodes


L'intensité est la charge électrique qui traverse un conducteur par unité de temps :


Dans une lampe diode, l'intensité anodique est égale à la charge électronique par unité de volume Rho qui multiplie la vitesse des électrons V :

(1)

Il faut donc calculer la charge électronique et la vitesse des électrons.


La charge électronique correspond aux électrons qui s'échappent de la cathode sous l'influence de la tension anodique : Si la cathode est suffisamment chaude, la charge électronique est directement proportionnelle à la tension anodique Ua. Si la tension anodique double, un nombre double d'électrons quitte la cathode, la charge électronique double donc. À l'inverse, si la tension Ua est nulle, aucun électron ne s'échappe de la cathode et la charge électronique est nulle. On a donc , k' étant une constante dépendant des caractéristiques physiques de la lampe.


L'énergie cinétique des électrons est égale à leur charge e multipliée par la tension anodique Ua donc


Il suffit maintenant de remplacer les valeurs de Rho et V pour calculer l'intensité anodique en fonction de la tension Ua :

(1)

où k est une constante qui dépend de la géométrie de la lampe. C'est la loi de Child-Langmuir



2) Cas des triodes


Les triodes comportent une grille entre la cathode et la plaque. Cette grille étant proche de la cathode, elle a une action µ fois plus efficace que l'anode sur la valeur du courant cathodique. La valeur de µ dépend de la géométrie de la lampe. La valeur µ correspond au coefficient d'amplification. Le courant cathodique dépend donc des tensions grille Ug et anodique Ua selon la loi suivante :

(2)

Les triodes de faible puissance ont souvent une valeur faible de tension grille Ug (inférieure à 1 ou 2 volts), on peut souvent estimer en première approximation que le courant anodique Ia est proportionnel à la puissance 3/2 de la tension anodique.



II Variation de la résistance interne d'une triode en fonction de la tension anodique


La résistance interne Rp d'une triode est égale au rapport entre les variations de la tension anodique dUa et les variations de l'intensité anodique : . En pratique est la dérivée de Ia en fonction de Ua. On a donc

(2)

Si la tension de polarisation Ug est faible, la résistance interne est donc inversement proportionnelle à la racine carrée de Ua.



III Variation de la pente d'une triode en fonction de la tension anodique


La pente d'une triode est égale au rapport entre le coefficient d'amplification et la résistance interne : . La pente d'une triode est donc, avec l'approximation de Ug proche de 0, proportionnelle à la racine carrée de la tension anodique Ua.



IV Conséquences de l'emploi d'une faible tension anodique dans un circuit à triodes


De façon simpliste lors de l'emploi d'une faible tension anodique, l'intensité anodique diminue en fonction de la puissance 3/2 de la haute-tension, la pente diminue en fonction de la racine carrée de la tension et la résistance interne augmente en fonction de la racine carrée de la tension. Une diminution par 10 de la tension anodique diminue donc par 31 l'intensité anodique, par 3.1 la pente, et augmente par 3.1 la résistance interne.


Le choix d'un tube lors de l'emploi d'une faible tension anodique doit donc essentiellement privilégier un tube à forte pente fonctionnant sous une faible tension anodique.



V Courant grille et polarisation


Le courant grille est souvent oublié dans l'analyse d'un tube électronique. Cette approximation qui est le plus souvent exacte devient insuffisante lors de l'emploi des tubes avec une basse tension anodique. Le courant grille est provoqué par des électrons éjectés par la chaleur du filament qui atteignent la grille. L'emploi d'une faible tension anodique augmente fortement le courant grille, du fait de deux mécanismes.


Le premier mécanisme est du à la diminution du recul de grille (cut-off). Le recul de grille est approximent égal à la tension anodique que divise le coefficient d'amplification µ : . La tension de polarisation doit être nettement plus faible que le cut-off et devient donc nettement inférieure à 1 volt lors de l'emploi de basses tensions anodiques. La tension de polarisation diminuant, les électrons sont moins repoussés de la grille et l'atteignent donc plus facilement, ce qui augmente le courant grille. Le deuxième mécanisme est dû directement à la diminution de la tension anodique. Les électrons sont moins attirés par l'anode et la probabilité d'être arrêtés par la grille augmente donc. Des mesures sur une triode 6N3P montre que le courant grille augmente de 40% quand la tension anodique passe de 24 à 10 V.


L'augmentation du courant grille aboutit à une diminution de l'impédance d'entrée des lampes. Cette diminution d'impédance diminue le réel pouvoir amplificateur des tubes. Par ailleurs, si la grille est reliée à la masse par une résistance de fuite, le courant à travers cette résistance suffit pour obtenir une tension de polarisation correcte avec les triodes de faible puissance. La cathode du tube peut alors être directement reliée à la masse. Pour les oscillateurs et les détectrices par la grille, il n'y a généralement pas de polarisation cathodique avec l'emploi d'une haute tension. Avec une faible tension anodique, le courant grille rend la grille trop négative pour faire démarrer l'oscillation. La résistance de fuite doit donc être reliée à une tension faiblement positive. À titre d'exemple pour faire osciller facilement une triode 6N3P sous 12 V de tension anodique, il faut utiliser une résistance de fuite de grille de 100 kohm directement reliée au + 12 V.



VI Tension anodique seuil


Sous l’influence du chauffage, les électrons quittent la cathode d’un tube. Un nuage électronique formant une charge spatiale négative entoure donc la cathode. Du fait de la perte de ces électrons, la cathode devient positive par rapport à ce nuage qui contient des électrons négatifs. Un tube ne fonctionne que si le champ électrique due à l’anode au niveau du nuage électronique est supérieur à celui de la cathode. Les électrons négatifs sont alors attirés vers l’anode positive. Si le champ électrique due à l’anode est inférieur à celui de la cathode, les électrons sont attirés vers la cathode. Le courant anodique est alors nul. Cela explique que le tube ne fonctionne qu’à partir d’une certaine tension anodique seuil.


Le fonctionnement à faible tension anodique n’est jamais indiqué dans les caractéristiques d’un tube. Il ne s’agissait pas d’un paramètre à respecter dans les spécifications d’un tube. Certains tubes de même référence, mais de constructeurs différents peuvent ainsi avoir un fonctionnement différent à basse tension. Par exemple, sur trois lots de 6K7 neuves provenant de trois fabricants différents, seuls deux fonctionnaient correctement à 12 V de tension anodique. L’expérimentation reste donc de mise.


VIi Quels tubes en pratique ?


En pratique, il faut employer des tubes avec la pente la plus élevée possible. Sous 24 V, dans la série noval les tubes ayant une pente de 5 ou 6 mA/V sont utilisables (ECC81, ECC84, ECC85, 6N3P...), mais les tubes ayant une pente proche de 12 mA/V donnent un gain réel nettement plus élevé (ECC88, ECC189, 6N23P...). Les tubes à faible pente (ECC82, ECC83...) sont à déconseiller. Concernant les tubes de puissance, l'EL84 reste un bon choix, mais la puissance de sortie obtenue reste très modeste. Sous 12 volts, je conseille nettement les tubes à grille cadre avec une pente supérieure à 12 mA/V. On peut citer pour les triodes les ECC88, ECC189, 6N23P, mais le modèle russe 6N24P est relativement bon marché et fonctionne parfaitement en 12V. De façon similaire, je conseille en 12V les tube EF183 ou son équivalent russe 6K13P.


Illustration : récepteur à réaction 4 lampes sous 12 V de tension anodique


VIII Une technique oubliée : les tubes à grille accélératrice, bigrille ou trigrille


Un moyen de faire fonctionner un tube avec une tension anodique inférieure à la tension seuil est d’ajouter une grille accélératrice entre la cathode et la grille de commande. Cette grille reliée à une tension positive crée un champ électrique au niveau du nuage électronique qui s’ajoute à celui de l’anode. De nombreux électrons sont captés par cette grille, mais certains passent entre les mailles et sont alors attirés par l’anode. Grâce à cette grille supplémentaire, les tubes peuvent donc fonctionner avec une très faible tension anodique de 12V voir 6V. Cette technique a connu quelques applications en France à la fin des années 1920, comme le montrent les différents documents rassemblés ici. Ces tubes étaient des lampes bigrilles. Pierre Hémardinquer (1897-1979) publia en 1927 un livre complet sur les lampes bigrilles Les lampes à deux grilles et leurs applications  . Elles sont quasi introuvables aujourd’hui. À noter qu’il n’y a eu que très peu d’applications en dehors de la France.


Il est possible d’utiliser une pentode « récente » comme une bigrille. Il est toutefois indispensable que la troisième grille ne soit pas reliée à la cathode. La première grille reçoit une faible tension positive, la deuxième grille devient la grille de commande et la troisième est connectée à l’anode. On obtient alors une bigrille, fonctionnant à faible voltage.


La troisième grille peut aussi être reliée directement à la haute tension. Si cette grille a un pas suffisant, on a alors l’équivalent d’une lampe-écran fonctionnant à très faible tension.


Une lampe est particulièrement intéressante dans cette application : la 6AS6 ou son équivalence russe la 6J2P. Cette lampe consomme peu au filament : 6V 175 mA et la troisième grille est une grille de commande. Elle peut donc donner l’équivalence fonctionnelle d’une lampe à écran si la troisième grille est reliée à la « haute tension » ou une triode si elle est reliée à la plaque. Des essais ont montré que la tension optimale pour le filament dans ce mode de fonctionnement est de 4.5V (4 à 5V) pour une tension plaque de 12 V. Ce tube fonctionne encore correctement avec une tension filament de 4V sous 130 mA. Avec une alimentation continue de 12V, il est ainsi possible de mettre en série les filaments de 3 lampes. La première grille doit être portée à 2 V sous 5 mA.

Si vous essayez d’autres pentodes, il est indispensable que la troisième grille ne soit pas reliée à la cathode.


Dans tous les cas, le courant anodique est inférieur à 1 mA, il est donc impossible de réaliser une amplification de puissance pour écoute en haut-parleur.


Article en anglais sur les tubes bigrilles et trigrilles de TERMAN


Exemple




1 Fundamentals of radio Izyumov N Linde D Mir Publisher Moscow 1976


2 Radio Engineering Terman FE McGraw-Hill Book Compagny 1937