En 1912 les lampes triodes disponibles
ne permettaient que de très faible amplification. Edwin Howard Armstrong
(1890-1954) au cours d’essais empiriques obtient subitement une
amplification considérable. Il venait de découvrir le phénomène de la
réaction : en réappliquant à la sortie d’un amplificateur une
partie du signal de sortie, on augmente considérablement l’amplification
totale.
Ce gain considérable de la réaction associé à une augmentation de la
sélectivité a permis un développement important de la radio dans les
années 20. Les récepteurs à réaction ont ainsi permis les premières
liaisons amateurs longues distances en ondes courtes (OC). Rappelons que
lors de la première liaison bilatérale OC entre la France (Léon Deloy
8AB) et l’Amérique (Fred Schnell 1MO), réalisée en 1923, chaque station
utilisait un récepteur à réaction à 2 lampes. Cette technique a ensuite
été progressivement remplacée par celle du superhétérodyne dans les
années 30.
Les résultats extraordinaires de la réaction expliquent que certains
radio amateurs utilisent encore cette technique pour réaliser des
récepteurs simples, mais permettant de recevoir des stations d’Amérique
voir d’Océanie parfois avec 3 ou 4 transistors. Cet article présente la
théorie de ces récepteurs et les principes de conception qui en
découlent. Un second article sera consacré à la description d’un
récepteur à 5 transistors.
1 Amplification
Soit un étage amplificateur de gain K en l’absence de réaction (figue
1). Réappliquons à l’entrée un pourcentage r de la tension de sortie.
K ( Uin + r Uout ) = Uout
=> K Uin = Uout – K r Uout
=>
K Uin = Uout ( 1 – K r )
=> K / ( 1 – K r ) = Uout / Uin
Le gain Gr avec réaction correspond au rapport Uout / Uin donc Gr
= K / ( 1 – K r )
Prenons un exemple. Soit un amplificateur avec un gain de 10. Appliquons
une réaction de 0,095 (9,5%). Le gain augmente à 200 ! Augmentons
encore la réaction en appliquant 10 %. Le gain devient infini,
c’est-à-dire que le montage oscille.
La réaction permet donc d’augmenter considérablement le gain d’un étage.
La limite est atteinte quand le montage se met à osciller.
2 Sélectivité
Ajoutons un circuit oscillant à l’entrée de l’amplificateur (figure 2).
Sans réaction, la sélectivité est celle de sa courbe d’impédance. Par
exemple, si à une fréquence F1 l’impédance Z du circuit est moitié celle
de la fréquence de résonance Fo, le signal de fréquence F1 est
atténué par 2 à la sortie du circuit oscillant par rapport à un signal
de fréquence Fo. L’atténuation relative persiste à la sortie de
l’amplificateur.
Ajoutons la réaction. Le pourcentage r de la sortie réappliqué à
l’entrée sera lui aussi variable en fonction de fréquence. C’est ce qui
explique l’augmentation de la sélectivité.
Reprenons notre exemple : celui d’un étage de gain k = 10 sans
réaction et d’une valeur de r à la résonance Fo de 9,5 %. Soit deux
stations, celle désirée de fréquence Fo sur laquelle est réglé le
récepteur, et une deuxième station de fréquence F1 pour laquelle le
circuit oscillant donne une atténuation de 2 (-6dB) sans réaction. Avec
la réaction, le gain devient 200 pour la fréquence Fo. Par contre, la
réaction n’est que de 4,75 % pour F1. Le gain devient donc égal à
19. La réaction a donc apporté une atténuation relative de la fréquence
F1 par rapport à Fo de 200/19 soit 10,5 (-20db).
Ce gain de sélectivité doit se comprendre ainsi : plus on augmente
la réaction, plus la différence d’amplification entre Fo et F1 augmente.
La sélectivité la plus importante est donc obtenue à proximité immédiate
de l’accrochage.
Ce mécanisme explique un défaut majeur de la réaction : si la
station F1 est déjà reçue sans réaction, l’application de la réaction ne
permettra pas de l’éliminer. Elle sera même reçue de plus en plus fort
en augmentant la réaction.
Le seul moyen d’atténuer ce problème est de diminuer les signaux à l’entrée
du récepteur de façon à ne recevoir aucune station sans réaction. Seul
le surplus de gain apporté par la réaction permettra de recevoir les
différentes stations.
Pour obtenir une bonne sélectivité, tout récepteur à réaction relié à
une antenne « efficace » doit donc être précédé d’un
atténuateur RF variable.
Si une station est vraiment beaucoup plus forte que les autres, comme
c’est parfois le cas avec des stations de radiodiffusion proche des
bandes amateurs, il sera parfois quasi impossible de l’éliminer
complètement. Sur un récepteur bien conçu, cela doit rester
exceptionnel.
3 Réception de la télégraphie et de la SSB
Le démodulateur le plus simple est un détecteur. Il est directement
efficace pour la modulation d’amplitude (AM). Si le seuil d’accrochage
est dépassé, l’oscillation qui en résulte interfère avec la porteuse et
donne un sifflement dont la fréquence est égale à la différence de
fréquence entre l’oscillation de l’étage à réaction et la porteuse de
l’émetteur (AM). Pour la réception de la modulation d’amplitude, il faut
donc régler la réaction juste avant l’accrochage. À l’inverse, pour la
démodulation de la bande latérale unique (SSB), il faut dépasser
l’accrochage. En effet, l’oscillation de l’étage à réaction remplace la
porteuse éliminée dans l’émetteur, ce qui permet de retrouver une
modulation d’amplitude facilement démodulée par un détecteur. De
façon similaire, la télégraphie sera démodulée en dépassant le seuil
d’accrochage.
Lorsque la station reçue est puissante, la fréquence d’oscillation de
l’étage à réaction tend à se synchroniser sur la fréquence de cette
station. La démodulation de la SSB et de la télégraphie deviennent
impossibles. Il faut alors atténuer le signal à l’entrée du récepteur.
L’utilisation d’une grande capacité d’accord, au moins 470 pF, au niveau
du circuit oscillant (rapport L/C faible) permet aussi de minimiser ce
phénomène.
En dessous de 4 MHz, l’utilisation de la réaction au-delà du seuil
d’accrochage pour la réception de la télégraphie ou de la SSB n’est pas
optimale. En effet, la sélectivité juste avant l’accrochage devient
telle que la bande passante peut être inférieure à 2 kHz. En se centrant
sur la bande latérale désirée en SSB ou sur la porteuse en télégraphie,
la sélectivité est alors maximum. Pour démoduler le signal, il faut
cependant ajouter un autre oscillateur pour remplacer la porteuse
manquante en SSB ou obtenir l’interférence désirée en télégraphie.
4 Rapport L/C
Les considérations de ce paragraphe concernent essentiellement l’écoute
en accroché pour la SSB ou la télégraphie.
Un oscillateur est d’autant plus stable qu’il est accordé par une
capacité importante. Imaginons une variation de 0,1 pF de la capacité
d’un circuit oscillant sur 14 MHz. Cela peut être provoqué par une
variation de température, une variation de tension, un effet de main,
une variation du couplage de l’antenne etc. Si la capacité d’accord est
de 470 pF, cela correspond à une variation de fréquence de 1,4 kHz. Par
contre, si la capacité d’accord est de 47 pF, cela aboutit à une
variation de fréquence de 14 kHz. Ce simple exemple illustre
l’importance d’utiliser un rapport L/C faible. Dans le même temps, la
sélectivité sera améliorée. En accroché, la sensibilité est quasi
constante, quel que soit le rapport L/C. Il est donc indispensable
d’utiliser une capacité de forte valeur, disons supérieure à 470
pF. C’est possible jusqu’à 21 MHz avec des transistors bipolaires,
et jusqu’à 14 MHz avec des tubes.
Dans les anciens livres, il est au contraire souvent conseillé
d’employer une bobine de forte valeur, donc avec une faible capacité
d’accord. Quarante ans d’expérience m’ont démontré que c’était faux. Une
faible capacité d’accord permettait surtout d’obtenir facilement
l’accrochage, ce qui était utile avec des tubes peu efficaces en ondes
courtes et des montages avec beaucoup de pertes. En fait, la seule
limite à une valeur de capacité très élevée, est la difficulté, voir
l’impossibilité, d’obtenir l’accrochage.
5 Bruits spécifiques aux récepteurs à réaction
Les récepteurs à réaction sont sujets à deux bruits qui n’existent
quasiment pas dans des récepteurs superhétérodynes bien conçus. Le
premier est un bruit qui ne survient qu’en accroché et sur certaines
fréquences. Le second est un couplage parasite avec le courant secteur.
Le bruit qui ne survient qu’en accroché sur certaines fréquences
(tunable hum en anglais) s’explique aisément. En accroché, le récepteur
se comporte comme un petit émetteur. L’oscillation émise par l’antenne
est captée par les fils du courant secteur. Elle parvient au bloc
alimentation où le pont de redressement module en 50 Hz l’oscillation
qui revient au récepteur par les câbles d’alimentation.
Pour éviter ce bruit, il faut donc mettre un étage séparateur entre
l’antenne de l’étage à réaction, blinder le récepteur et utiliser une
alimentation batterie. À défaut, il faut shunter les diodes de
redressement par un condensateur de 10 nF pour éviter qu’elles modulent
l’oscillation. Une alimentation à découpage peut éventuellement aussi
supprimer ce bruit, mais elle risque d’en amener d’autres.
Le deuxième bruit caractéristique des récepteurs à réaction est un bruit
50Hz provenant du couplage existant entre l’entrée du détecteur et le
circuit secteur 50 Hz qui nous environne (figure 3). Il s’agit d’un
couplage capacitif parasite Cp. Le circuit oscillant est relié à l’étage
détecteur par une capacité de couplage Cc. La bobine ayant une impédance
nulle à 50 Hz, nous avons donc un diviseur capacitif entre le secteur et
le détecteur. Imaginons que la capacité parasite soit de 0,001 pF et la
capacité de couplage de 100 pF. Nous aurons donc à l’entrée de l’étage
détecteur une tension alternative de 2,2 mV. Ce bruit de fond couvrira
quasiment toutes les réceptions.
Pour faire disparaître ce bruit 50 Hz, plusieurs solutions sont
possibles. La plus simple consiste à augmenter la capacité de couplage
Cc. Si cette capacité à une valeur de 100 nF, la tension de 50 Hz à
l’entrée du détecteur ne sera plus que de 2 µV. Si la polarisation de
l’étage détecteur le permet, par exemple pour un FET, le plus simple est
de supprimer le condensateur Cc. Un autre moyen consiste à shunter le
condensateur de couplage Cc par une résistance ayant la plus faible
valeur possible. Dans tous les cas, il faut que l’impédance 50 Hz entre
l’entrée du détecteur et la masse soit la plus faible possible.
6 Amplificateur basse fréquence à faible bruit
Il est souvent indispensable d’atténuer le signal à l’entrée du
récepteur pour obtenir une sélectivité satisfaisante et éviter le
phénomène de synchronisation. Le signal à la sortie du récepteur est
donc extrêmement faible. Il est alors indispensable d’utiliser une
importante amplification AF ayant un faible bruit de fond.
7 Conditions à respecter
Pour terminer, voici les conditions à respecter pour la conception d’un
récepteur à réaction.
- Utilisation d’un rapport L/C faible (importante capacité d’accord, au
moins 470 pF). Cela améliore la stabilité en fréquence et diminue le
phénomène de synchronisation.
- Emploi d’un atténuateur RF réglable à l’entrée du récepteur. Cela
permet de diminuer le risque de réception de puissante station hors
bande.
- Emploi d’un étage séparateur entre l’atténuateur d’antenne et l’étage
à réaction. Cela est indispensable pour éviter les risques de bruit de
fond apparaissant à l’accrochage (tunable hum) et diminuer les
variations de fréquences survenant lors du réglage de l’atténuateur RF.
- Découpler les diodes du circuit alimentation par des condensateurs de
10 nF pour éliminer le même bruit.
- Prévoir un circuit avec une faible impédance 50 Hz entre l’entrée du
détecteur et la masse par exemple en employant une forte capacité de
liaison (100 nF). Cela permet de supprimer le bruit de fond induit par
le couplage capacitif avec le secteur 50 Hz.
- Emploi d’un amplificateur AF à grand gain et faible bruit afin
d’obtenir une puissance de sortie satisfaisante.
Olivier Ernst
F5LVG
12-2019